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Perspectives

by Akoya

Révolution des Business Modes Partie I. La robolution est en marche

Chose promise, chose due. Nous avions abordé il y a quelques semaines l’impact des transformations des business models sur le capital humain, et nous étions engagés à revenir sur certaines évolutions…dont la robotisation de la production.

Cet article traite de la robotisation 2.0 – comprendre : une robotisation intelligente qui dépasse et surpasse une simple automatisation industrielle. Ce détail non négligeable est même primordial, au sens où l’aboutissement de cette robolution soulève de nombreuses problématiques, contrairement à l’automatisation. Les robots ont en effet été conceptualisés pour suppléer l’homme, pour le remplacer dans ses tâches les plus répétitives, les plus physiques, ou les plus dangereuses. Or, aujourd’hui, il ne s’agit plus seulement de conforter la force corporelle de l’Homme, mais aussi de supplanter ses capacités intellectuelles : les robots analysent, calculent, décident. Et ce, bien plus rapidement que les Hommes. Au point que l’on peut se demander quel sera le rôle de l’homme dans des sociétés à totalement repenser.

 

La robotisation est inéluctable

La question n’est pas de savoir si robotisation il y aura, mais quand elle commencera. Parce qu’il y a beaucoup trop d’avantages à la robotisation. Dans la forme actuelle du capitalisme, les Hommes suivent en priorité leur intérêt à court et moyen terme. Et pour le coup, les intérêts ne sont pas moindres.

Un triple intérêt à la robotisation

Optimisation des coûts de production

Les robots présentent le double avantage d’abaisser les coûts directs et indirects en comparaison avec les coûts salariaux.

  • Ils représentent certes un investissement initial conséquent, mais qui est rapidement amorti. Que ce soit en entreprise, ou dans des cadres extraprofessionnels, la robotisation facilite l’accessibilité de certains services sur une base régulière – on peut notamment penser aux services à la personne ;
  • De plus, rares seront les robots qui seront syndiqués : ils peuvent travailler du matin au soir, du soir au matin, sans s’arrêter, sans grève ni revendication.

Réponse au besoin de main d’œuvre

Deux tendances se dessinent et justifient le recours à la robotisation :

  • Si le vieillissement de la population dans les pays développés n’est pas encore aussi alarmant qu’au Japon, l’évolution démographique est inquiétante. C’est d’ailleurs en partie pour compenser la contraction de sa population active que le Japon est très avancé dans la robotisation ;
  • Le manque d’attractivité de certains métiers oblige également à établir des mesures en conséquence. Cela concerne principalement les métiers peu qualifiés, et les métiers de service, de plus en plus demandés, mais qui restent peu rémunérés et pour lesquels les taux de turnover sont très élevés.

Amélioration de la qualité du travail demandé

Les robots intelligents dépassent et surpassent les hommes dans bien des domaines. Ils sont plus rapides, plus précis, plus efficaces. Ces quelques exemples – loin d’être exhaustifs – parlent d’eux-mêmes :

  • Des programmes capables de calculer deux mille opérations à la seconde ont déjà été mis en place dans le monde de la finance ;
  • Des voitures sans conducteurs sont en cours d’élaboration ;
  • Des articles sont générés automatiquement suite au moindre évènement – un article a déjà été automatiquement généré pour interpréter en temps réel un tremblement de terre, et publié par le Los Angeles Times ;
  • Des robots sont utilisés pour réaliser des opérations chirurgicales jusqu’à présent trop risquées ;
  • Watson Analytics peut répondre à tout ce qui a trait au médical sans consultation d’un médecin.

Les algorithmes utilisés sont tels qu’ils fournissent des services, ou des produits, dont la qualité et la fiabilité seraient difficilement réplicables par les Hommes, encore moins en si peu de temps.

Quels sont donc les (derniers) freins ?

Il en reste peu, mais il en reste quelques-uns. Ils ralentissent la généralisation de la robotisation, ou du moins, la rendent moins visible en milieu civil.

On n’aime pas les robots trop humains

Contrairement aux Japonais, qui ont grandi avec Astro Boy, Goldorak ou Bioman, héros de manga depuis les années 60, nous autres occidentaux avons tendance à voir les robots d’un mauvais œil. On est même méfiants, parfois, s’ils semblent un peu trop humains. Cette tendance a été modélisée dans les années 70 : la « Uncanny Valley » – comprendre, « Vallée Dérangeante » – est une théorie qui explique que plus un robot androïde est similaire à un être humain, plus ses imperfections nous paraissent monstrueuses. Néanmoins, à partir d’un certain niveau de perfection dans l’imitation, les robots sont tout de même acceptés.

Uncanny Valley

La technologie

Elle reste un frein, même si les progrès sont extrêmement rapides. Jusqu’à présent, il était plus simple de concevoir des robots au sens où ils devaient être monotâches. Aujourd’hui, ils doivent non seulement être multitâches, mais en plus être de plus en plus autonomes. Le robot Asimo de Honda par exemple, n’est pas piloté par qui que ce soit lorsqu’il apporte un plateau à une personne âgée. L’objectif est de faire en sorte que les robots anticipent le plus possible les besoins et attentes de leur propriétaire

Asimo

 

Les robots ne sont pas encore tout à fait abordables

Mais ils le deviennent de plus en plus. Le robot Pepper de l’entreprise française Aldebaran sera commercialisé à partir de cet été aux Etats-Unis au prix de 1 450€. Ce petit robot d’1m20 a été conçu pour vivre aux côtés des humains : il sait parler, reconnaitre nos émotions, se déplacer, et vivre de manière autonome. S’il n’a pas encore de fonctionnalités pratiques, on peut facilement imaginer qu’il sera bientôt remplacé par un robot qui saura cuisiner et faire le ménage. Pepper permet tout de même aux occidentaux de se familiariser d’ores et déjà avec des robots domestiques, encore beaucoup moins attractifs qu’en Asie. En Corée du Sud et au Japon, il y a par exemple près de trois fois plus de robots par habitant qu’en France – environ 345 pour 10 000 habitants contre 122 robots pour 10 000 habitants.

 

L’enjeu est donc de s’y préparer

La robotisation ne peut que bouleverser le monde du travail, et, partant, les entreprises, les sociétés, et même les Hommes. Il faut s’y préparer. L’inconvénient, c’est qu’il est encore très difficile de savoir comment. Nous pensons néanmoins qu’il est nécessaire de s’interroger dès à présent sur les conséquences possibles d’un tel phénomène, et des adaptations à envisager.

Un marché du travail sans travailleurs ?

Une destruction peut-être pas si créatrice

Si la robotisation n’implique pas forcément la disparition de certains secteurs d’activité, elle implique en revanche la destruction de nombreux métiers. La question est de savoir si elle en crée autant. D’après l’étude du chercheur Dr Carl Frey, 47% des emplois pourraient être robotisés aujourd’hui aux Etats-Unis. Si certains métiers peuvent être renforcés ou créés – liés à l’exploitation des robots notamment – il est difficilement concevable que la destruction des métiers soit créatrice d’une activité d’échelle équivalente, n’en déplaise à Schumpeter.

Une relocalisation de la production

Les délocalisations ont été opérées dans un souci d’économie de coût de main d’œuvre. N’ayant plus besoin de main d’œuvre, les délocalisations perdent tout leur sens, et on pourrait assister à un phénomène de relocalisation des unités de production. Certaines entreprises comme Atol (voir aussi leur témoignage dans le Guide sur le Marquage d’Origine) ont déjà pris ce parti, suite à une analyse des coûts et de la qualité des produits délocalisés, mais les relocalisations restent encore marginales. Avec la robotisation, ce phénomène prendrait une ampleur plus importante.

L’évolution des métiers et compétences est inévitable

La robotisation latente affecte ainsi non seulement le nombre d’emplois proposés sur le marché du travail, mais également leur nature. Les métiers peu qualifiés sont à redéfinir : peuvent-ils évoluer vers des métiers de techniciens robotiques ? Les métiers qualifiés eux-mêmes ne sont pas en reste : seront-ils eux aussi recentrés sur les outils de production ? A quel point seront-ils investis par la robotique ? Avec les nouveaux algorithmes, les cadres eux-mêmes sont aisément remplaçables, toujours dans un souci d’efficacité, et d’économie de coûts. On pourrait par exemple imaginer que le métier de trader sera amené à disparaître.

 

Le système en questions

Les quelques répercussions directes…

Les mutations des métiers sont plus profondes qu’une simple évolution des compétences, c’est l’ensemble de notre société qui doit se transformer. Aujourd’hui, le système est fondé sur le travail en tant que principal vecteur de redistribution des richesses – il fait croire à l’égalité des chances, permet la collecte d’impôts. Comment faire s’il n’est plus prépondérant ? Est-ce que le travail, devenu rare, sera valorisé ?

 

Valorisation du travail

La valorisation du travail soulève la question des rétributions. Est-ce que les Hommes gagneront plus en travaillant ou non ? Dans le système capitaliste actuel, les rémunérations tendent déjà à valoriser l’actionnariat plutôt que le travail en entreprise : est-ce que les Hommes sont voués à devenir rentiers ? Les Hommes seraient propriétaires des unités de production, des robots, ou des terres. Mais cela suppose qu’ils aient un capital initial assez conséquent pour devenir propriétaires. Doit-on donc imaginer au contraire un revenu universel pour rééquilibrer la distribution des richesses ?

 

Pouvoir d’achat

Une fois réglée la question des rétributions, il faut également se pencher sur le pouvoir d’achat qu’il suppose. L’idée défendue par les pro-robots est que les entreprises gagneront énormément en rentabilité. Mais à quelle fin ? Est-ce que les produits et services seront moins chers, donc plus accessibles ? Est-ce que ce gain sera finalement redistribué aux actionnaires et dirigeants ? Ajouté à la cagnotte servant au revenu universel ?

 

Fiscalité et cotisations sociales

Comment adapter également le système de fiscalité ? Si les revenus ne sont plus générés par le travail mais par des actions, peut-être faut-il le redessiner. Le système des cotisations sociales, prélevées sur les salaires, doit également être réinventé.

 

Juridique

Qui est responsable d’un robot ? Les juristes étudient déjà la question en vue du lancement des Google Cars – ces voitures sans conducteurs. Mais le droit du travail est également à revoir : comment seront rédigés les contrats de travail ? Seront-ils encore nécessaires ?

 

Formations

En France, les masters de robotique se comptent sur les doigts d’une main – il en existe à l’UPMC, Télécom Physique Strasbourg / Montpellier 2, et à l’Ensimag. Si l’on veut que la robotisation soit complète et efficace, il faudra développer les formations. Plus globalement, les formations doivent être repensées pour qu’elles correspondent aux nouveaux besoins métiers.

 

…bien plus profondes qu’elles ne le paraissent

Ces brèves interrogations ne représentent que la partie émergée de l’iceberg. En vérité, le travail nous est constitutif. Comme les nombreux domaines mentionnés ci-dessus le laissent poindre, le travail est finalement l’essence sociale même de notre société capitaliste. Nous avons ainsi tendance à tenir le travail comme quelque chose de naturel et d’évident. Et si c’était faux ? Pour anticiper les conséquences inévitables d’une grande robotisation, il est nécessaire de remettre en question cet allant de soi. Nos sociétés font difficilement face à des taux de chômage de 10%, qu’en sera-t-il s’il atteint les 40, 50, 70% ? Est-ce qu’au lieu de chercher à inventer des emplois, il ne serait pas plus efficace de chercher à réinventer notre activité ? Si quelques philosophes, tels que le groupe Krisis  depuis les années 90, conceptualisent un monde sans travail – sous sa forme actuelle, du moins – les réflexions se doivent d’être de plus en plus pratiques, suivies et poursuivies également par les politiques.

 

Et nous, dans tout ça ?

Si le travail n’est plus une fin en soi depuis quelques générations, il reste un élément qui nous donne du sens, des exigences et qui structure nos vies. L’enjeu est donc d’en trouver une alternative, ou un prolongement. Comment l’Homme pourrait-il en effet continuer de trouver un sens dans son travail, si la valeur se produit et reproduit sans lui ? Si l’on considère que toute valeur capitalistique peut être visée et créée par un robot, la valeur ajoutée de l’Homme réside principalement dans ce qui le différencie des machines, à savoir dans sa capacité d’anticipation, sa créativité et son humanité, finalement. Pour nous, l’Homme peut facilement être projeté dans ces quelques domaines d’activité :

  • Son premier rôle sera probablement de continuer de créer, d’améliorer, ou de travailler avec des robots pour optimiser les produits et services ;
  • L’Homme pourra se concentrer sur la préservation de la planète, et faire en sorte de prévenir la surexploitation de ses ressources ;
  • L’Homme trouvera son sens dans l’expression de sa créativité artistique, les œuvres d’art robotisées faisant beaucoup moins sens ;
  • Il pourra participer au développement de modèles alternatifs, œuvrant pour un meilleur équilibre social, environnemental ou culturel.

La robotisation est en marche et il faut s’y préparer, oui. Mais faut-il s’en inquiéter ? Non. La robotisation 2.0 est inéluctable parce qu’elle apporte énormément à l’Homme. C’est en la niant, en s’en inquiétant, ou en essayant de la retarder que l’Homme peut en pâtir. Il faut voir la robotisation comme une grande opportunité, à la fois directe, à travers les produits et services de qualité qu’elle fournit, mais aussi indirecte, puisqu’elle permet une totale inaliénation de l’Homme, le libérant du travail tel qu’on le conçoit aujourd’hui.